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Une petite sirène noire, un personnage principal féminin dans un jeu vidéo, des histoires mettant en avant des personnes lgbtqia+,… il n’en faut pas plus pour affoler certaines personnes.
Mais vous êtes vous déjà demandé pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’on ne remet absolument pas en question un couple hétéro qui s’embrasse dans un film, mais que certains parleront de propagande lgbt au moindre bisou entre deux personnes homosexuelles ? Pourquoi on n’a pas l’habitude de voir des personnages de jeu vidéo féminins.
Une réponse à cela, le male gaze (le regard masculin, que je vais étendre ici au regard blanc, cis, hétéro).
Lorsque l’on dessine, que l’on met en scène, que l’on écrit, on puise dans notre imaginaire et on produit ce qu’on est, en fonction de nos expériences, nos goûts, et de ce qui nous attire. Ainsi, on plaira certainement à des gens qui nous ressemblent. C’est un phénomène plutôt naturel au final. En tant qu’humain•e, nous avons une vision des choses qui nous est propre.
On parle de male gaze, en référence à la vision qu’ont les hommes sur le monde et la façon dont cette vision se répand dans la culture.
Ce concept apparaît d’abord en 1972, dans la série télévisée Ways of seing de John Berger qui explique que la culture occidentale révèle énormément sur l’histoire, la politique et la société dans laquelle nous évoluons. John Berger introduira la notion de male gaze concernant le nu dans la peinture européenne et comment les femmes y sont représentées à travers les yeux des peintres masculins.
Deux ans tard, en 1975, la réalisatrice Laura Mulvey publiera Plaisir visuel et cinéma narratif et développe le concept du male gaze. Elle y fera le lien entre certaines idées de Freud comme le phallocentrisme (le plaisir qui tourne autour du penis) ou la scopophilie (plaisir de regarder, comparable au voyeurisme). En gros, elle analyse plusieurs œuvres et conclue qu’elles sont construites à travers une vision patriarcale.
C’est la vision des hommes à travers leurs productions visuelles : des livres, des peintures, des photographies, des films, des jeux vidéos,…
Dans ces œuvres, plusieurs mécanismes se répètent, notamment le rôle quasi inexistant de la femme. Et au contraire, le rôle majeur de l’homme. La femme est passive, au service de l’homme cis hétéro. Elle se doit d’être attirante pour lui, disponible, soumise. L’homme lui la regarde (c’est la que la scopophilie intervient), il est dans l’action afin que les hommes qui verront ces œuvres ressentent la même chose que le personnage masculin. Afin qu’ils s’identifient au héros.
Tout ceci se manifeste différemment selon le médium. Au cinéma, on découpera le corps de la femme en zoomant sur certaines parties par exemple. En photographie, les femmes poseront de façon passive, presque comme des objets.
Dans les contes de fée, le schéma type c’est : le prince sauve la princesse (et l’embrasse sans son consentement) : blanche neige, la belle au bois dormant, cendrillon, la belle et la bête,… ces histoires contribuent à la banalisation de la culture du viol et placent les femmes dans une posture plutôt passive.
Si on s’intéresse aux films les plus connus, on peut constater que les personnages principaux sont généralement des hommes blancs hétéros cis. Et que les autres (les femmes, les personnes non blanches, non hétéros,…) comptent peu, ou en tout cas moins, dans l’histoire : Le seigneur des anneaux, James Bond, Batman, Inception, Jurassic park, Star Wars, Terminator, Retour vers le futur,…
Le point commun à toutes ces œuvres, elles sont écrites par des hommes cis. Cela ne veut pas dire que les femmes ne reproduisent pas ces schémas évidemment. Mais cela implique tout de même une vraie vision masculine.
Si cette vision masculine est omniprésente dans notre culture occidentale, c’est parce que les décisionnaires, ceux qui produisent,… et bien sans surprise, ce sont majoritairement des hommes blancs cis hétéros.
Les productions des femmes ont pendant longtemps été oubliées, rabaissées, volées. Ce qu’il reste alors, ce sont les œuvres ces hommes, et leur vision qu’ils ont imposé. Et ils continuent de prédominer dans la production d’œuvres culturelles.
Alors certes, les choses changent, mais pas tant que ça.
« L’art réalisé par des femmes représenterait 11% de toutes les acquisitions et expositions réalisées par vingt-six musées américains de premier plan » selon Slate.
« Selon le baromètre annuel du jeu vidéo en France, on comptait en 2021 seulement 22% de femmes dans les studios de développement, et 26% dans les écoles qui forment à ces métiers » alors qu’il y a autant de joueuses que de joueurs.
D’après Slate, on compterait 25% à peine d’autrices au baccalauréat en 2020. Les ouvrages écrits par des femmes coûteraient en moyenne 45 % moins cher que ceux écrits par des hommes. Bien que selon le Centre National du livre, les femmes lisent plus que les hommes.
Et non, il n’y a pas que les hommes qui produisent, seulement ils sont bien installés, et ont plus de moyens pour. Leur vision étant devenue la norme, celle qui fait vendre, d’après eux, on leur donne plus facilement leur chance. De plus, les milieux étant majoritairement composés d’hommes, il est plus facile de les rejoindre quand on en est un.
Parce que ces œuvres ont un impact sur nous et que le male gaze est un symptôme du patriarcat.
On se construit avec ces œuvres. Elles sont pour nous une représentation de nos réalités. De comment se comporter.
En tant que femme, on regarde des films, on lit des livres et on joue à des jeux dans lesquels on nous fait comprendre que l’homme vaut mieux que nous. Que ce qui compte c’est être à sa disposition, se faire belle pour lui plaire, que ce que l’on a à dire ne compte pas, et ce que l’on pense non plus.
Perso, j’ai grandit en regardant des séries comme Les Frères Scott, Newport Beach, des films comme Lolita malgré moi ou American Pie (quelle époque…). Des œuvres réalisées par des hommes ou les genres sont ultra stéréotypés. Parce que l’image des femmes est sexiste, misogyne, hypersexualisée, mais celle des hommes est tout aussi problématique : des corps musclés, valorisés par des rapports de domination et de prédation, une vision de la virilité assez dangereuse, etc.
J’ai aussi lu des magazines dits féminins dans lesquels on apprend aux femmes comment se comporter et à quoi penser. Dans lesquels on voit des photos de femmes. On apprend ce qui est beau, on nous l’impose même. Et bien que les critères de beauté évoluent, ils sont bien souvent inatteignables car idéalisés, fantasmés, instaurés par le male gaze. Tout ceci en mettant en danger les femmes (régime, produits cosmétiques, opérations esthétiques,…).
Notre rapport à la sexualité et nos désirs sont aussi affectés. On a érigé le modèle hétéro et la pénétration comme norme. On le constate dans les films par exemple, dans lesquels on voit peu l’orgasme féminin, dans lesquels le corps des femmes est érotisé contrairement à celui de des hommes, et dans lesquels les rapports sexuels se réduisent à la pénétration.
Nous sommes tous et toutes impacté•es. On reproduit alors ce que l’on voit. Le meilleur comme le pire. Prenons l’exemple des intelligences artificielles alimentées par les humains qui reproduisent des comportements sexistes et racistes.
Le male gaze codifie tout. Les relations amoureuses, les comportements, et ça marginalise tout ce qui sort de la vision masculine blanche cis hétéro. On intègre cette vision comme la norme alors qu’il s’agit d’un biais de représentativité (quand il y a une surreprésentation ou une sous représentation d’un type d’individus).
On a pas mal parlé des femmes, mais cette vision touche aussi les personnes non blanches, ou les musulman.es pas exemple. Quand elles ne sont pas invisibilisées, elles sont souvent fetichisées, quelque soit leur genre à travers des rôles ultrasexualisés, fantasmés et peu représentatifs de la réalité.
Par exemple, une étude a analysé l’image des musulman.es au cinéma. Elle conclue que sur 200 films, seulement 19 en font figurer, dont 6 personnages principaux toujours liés à la violence et que parmi 9000 personnages, on comptait 1,6% de musulmans, alors qu’ils représenterait un quart de la population mondiale. De plus, les 3/4 des personnages musulmans sont des hommes.
La norme que l’on intègre est donc une vision bien spécifique des choses, qui ne sera pas la même que celle d’une femme par exemple. Elle ne se reconnaîtra pas forcément dans l’image de la femme qu’on lui sert. Cela crée un sentiment de non appartenance à la norme, et une absence d’espoir face au manque de représentations. En gros, ça ne les aide pas à créer. Car face à des hommes créateurs de chefs doeuvre, des génies, des pionniers, on ne se sent pas forcément à la hauteur (coucou le syndrome de l’imposteur). Et on ignore, on oublie, que beaucoup d’autres profils ont été effacés de l’histoire.
La prédominance du male gaze, c’est aussi brider la créativité. C’est une vision de l’art unique et étriquée qui ne laisse pas de place aux idées que pourraient avoir d’autres profils, avec leur expérience de vie. Par exemple, ce que les hommes cis blancs hétéros trouvent attirant, est très différent de ce qu’une femme lesbienne noire trouvera attirant.
L’idée ce n’est pas d’éradiquer le mâle gaze. Il représente une vision tout à fait légitime. Mais plutôt de s’ouvrir aux autres regards, aux autres perceptions. On peut par exemple se poser des questions lorsqu’on regarde une production visuelle. C’est ce que propose le female gaze et le test de Bechdel. Il s’agit de se poser 3 questions pendant le visionnage d’un film :
Il est aussi important de s’intéresser à ce qui ne nous parle pas forcément. Car voir d’autres profils, des corps non blancs, gros, non valides, qui agissent, entreprennent, dans l’action, des corps non normés sexy et qui ont le pouvoir, une pluralité de corps, ça peut déranger mais ça libère aussi.
Le principal, ce n’est pas forcément de s’identifier. Mais de ressentir avec les personnages, avoir de l’empathie. Partager. Être dans leur tête.
Il ne faut pas voir ça comme une censure, comme une perte mais plutôt comme un gain, de la nouveauté.
Il faut aussi donner la possibilité à d’autres gens de s’exprimer et d’être en charge. Arrêter de penser que le male gaze, est la vision neutre et universelle qui parle a tout le monde. Arrêter de penser qu’une œuvre mettant en scène des personnes noires, ne parlera qu’aux personnes noires. Sortir du male gaze et de la vision capitaliste et arrêter de croire que tout ce qui s’en écarte, représente un risque financier. Car laisser la place aux autres, ne peut être que bénéfique (même financièrement).
Sources :
Le compte instagram d’Eva kirilof
Podcasts :
C’est quoi le mâle gaze : chronique du sexisme ordinaire
Celles qui osent « qu’est-ce que le mâle gaze »
Les couilles sur la table « mâle gaze ce que voient les hommes »
Articles :
L’Etudiant – Jeux vidéo : des métiers aussi pour les filles
Slate – Les femmes restent sous-représentées dans les musées
Slate – Où sont les femmes de la littérature? Pas dans les manuels scolaires
La finance pour tous – Les pratiques de lecture en France
Le Monde – L’intelligence artificielle reproduit aussi le sexisme et le racisme des humains
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